[in French] A letter I sent in November 2004 to Yann Orlarey, Scientific Director of GRAME in Lyon, France. The letter was in response to Yann’s decision not to participate in the Integra project. The text of Yann’s letter I was replying to is at the bottom of the post.

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Cher Yann,

D’abord merci beaucoup pour tes commentaires si détaillés, et je te prie de m’excuser si je n’ai pas répondu avant, mais j’ai eu une semaine assez terrible, et je voulais dédier à ma réponse le temps nécessaire.

J’ai beaucoup de respect pour tes opinions sur le projet, et bien sûr, je partage avec toi certaines de tes réflexions plus générales sur la musique et les technologies. Mon point de vue, si tu veux, cherche à trouver un compromis entre la liberté de la création et la nécessité de la diffusion. Je suis – en tant que compositeur – prêt à céder une partie de ma liberté si j’obtiens par là une diffusion plus grande de mon œuvre. Si la diffusion est presque inexistante, comme il en est le cas pour la musique avec dispositif électronique, mes raisons deviennent d’autant plus pressantes.

Je pense toujours à la technologie « live electronics » comme à quelque chose qui appartient à la musique, qui est engendrée par la musique (conceptuellement avant de l’être dans la pratique), et qui suit les mêmes lois qui gouvernent la communication entre musiciens et publique. Dans ce contexte, les limitations n’ont jamais posé d’obstacles véritables à la création musicale. Au contraire, dans l’histoire de la musique il y a beaucoup d’exemples où les contraintes ont eu l’effet de stimuler et concentrer la créativité des compositeurs. Les instruments de musique utilisés dans nos concerts sont eux-mêmes des « standards » assez limités, mais qui assurent la transmission d’un message extrêmement complexe et diversifié.

Le vrai problème de la technologie aujourd’hui – et il s’agit d’un problème philosophique et esthétique avant que pratique – consiste en ses possibilités illimitées et auto-fécondantes, qui dépassent largement notre contrôle et notre capacité d’interprétation. Laissée à soi-même, la technologie n’a aucun sens. C’est pour ça que je ne vois pas comme un attentat à la liberté des créateurs si on essaie de limiter la technologie pour la reconduire à une dimension simplifiée, voire plus humaine, comme si c’était un instrument qu’il faut apprendre à jouer comme les autres.

Je sais très bien que mes considérations risquent d’être utopiques. Mais il faut bien que l’on commence à réfléchir sérieusement sur ces thèmes dans notre coin – d’autant que la simplification de la technologie est en train de devenir une notion de plus en plus importante dans d’autres branches de l’informatique appliquée.

Je suis tout à fait d’accord avec toi sur la standardisation : on ne peut pas l’imposer. Mais si assez de professionnels adoptent un « standard », il y a des chances que petit à petit ce standard prenne pied, surtout si le résultat est une diffusion plus grande des œuvres. C’est pour ça que si Integra sera financé il faudra partager les activités et les résultats avec le plus grand nombre d’institutions et musiciens.

Tu as parfaitement raison sur les coûts de développement, surtout pour réaliser la simplicité dont on parle: notre démarche est peut-être trop optimiste. J’espère pourtant que, sur la période de trois ans, on arrivera au moins à jeter les fondations d’un travail plus long à terminer.

C’est dommage que Grame ne veuille pas participer à Integra. C’est toujours mieux quand on a des opinions différentes au sein du même projet, et l’on va perdre l’occasion de nous confronter à fond sur des thèmes qui nous passionnent! J’imagine que tu seras assez occupé après le voyage en Chine, mais si tu as le temps de continuer ce dialogue à distance, j’en serais reconnaissant!

Bien à toi

Lamberto

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Cher Lamberto,

De retour de Chine, je voudrais clarifier la position de Grame concernant la partie scientifique du projet INTEGRA.

Tout d’abord et comme j’ai eu l’occasion de te le dire au téléphone la question posée par le projet : production, diffusion, patrimoine, perennité des oeuvres avec electronique et informatique est très importante et nous intéresse donc directement. Par contre nous avons beaucoup de réserves concernant la solution proposée à savoir : le développement d’outils standards et faciles d’accès, etc. Je me permets donc de te livrer quelques réflexions qui recouvrent sans doute les tiennes en grande partie.

1/ Simplicité : Bien entendu tout concepteur souhaite que ces outils soient les plus faciles à utiliser. Malheureusement la simplicité et la facilité d’utilisation n’est pas une qualité que l’on décrète comme la couleur ou la taille d’un objet. Les outils commencent bien souvent par être compliqués et il faut énormément de travail (et donc de moyens de développement) pour les rendre éventuellement un peu plus simples.

2/ Standardisation : on ne peut pas décréter de standard tout seul. On peut essayer de définir un standard en réunissant un nombre suffisant de partenaires influents, mais sans aucune garanties. Dans le domaine des nouvelles technologies les exemples d’excellents standards qui n’ont pas reussi à s’imposer sont nombreux. A l’inverse des solutions mauvaises ont réussis parfois à devenir des standards.

3/ Standardisation (bis) : La démarche de création s’accommode très mal d’outils standards. On est bien souvent dans le bricolage, la nouveauté, le prototype. La création est un domaine où tous les moyens sont bons et ou il ne peut y avoir de restrictions de moyens. Il me parait donc illusoire d’essayer d’imposer une restriction à des outils standards.

4/ Développement : le développement de nouveaux outils est très coûteux notamment en termes de mois/hommes. Ce n’est probablement pas le rôle d’un projet culture 2000 qui n’en aura, en outre, absolument pas les moyens.

En résumé, ce volet du projet est trop ambitieux pour des moyens trop limités. Nous ne voulons donc pas nous engager pour un objectif dont nous pensons qu’il ne pourra pas être atteint, et ce d’autant plus que cela ne nous parait pas être le bon objectif !

Alors quel doit être l’objectif ? A mon avis il faut profiter de ce projet et du consortium (très intéressant) pour réfléchir, tous ensemble, à la question posée, pour faire un état des lieux précis et exhaustif des problèmes que pose la circulation, la diffusion et la conservation des oeuvres avec dispositif. Et pour faire cela de manière efficace et utile, il faut *éviter* soigneusement la question de la création des oeuvres et des outils de créations. En d’autres termes il faut supposer l’oeuvre créée, faisant appel à toutes sortes de moyens, d’outils et de bricolages non standards, et à partir de là définir une démarche et des stratégies (voir des outils, mais qui ne seront pas des outils de création) visant à la rendre pérenne et facilement diffusable.

Toute autre démarche me parait utopique, mais bien entendu je suis à ta disposition pour qu’on en discute et nuancer les choses.

Très cordialement

Yann